A propos du YI
"L'intention
ou l'idée"

 

 


 Yi 

Le mot Yi se retrouve dans de nombreux traités philosophiques chinois, on le traduit souvent par pensée / intention / idée / sens.
Dans l'idéogramme le signe coeur (xin) apparaît (en bas), 
dans la signification ancienne, le coeur est le siège de l'esprit . 
L'idée première viendrait du coeur (intention pure).
Le Yi est la base de la création artistique donc de la concentration et de la méditation.
Prenons plusieurs écrits de penseurs et maîtres chinois pour mieux comprendre la diversité et la profondeur de ce mot .

La pensée chinoise et le Yi

Un petit texte de wang Yangming (1472-1529) fait apparaître le Yi comme source de la connaissance innée.

" ce qui commande au corps, c'est l'esprit. Ce qui émane de l'esprit c'est l'intention. ce qui constitue originellement l'intention, c'est l'aptitude à connaître. Là où se dirige l'intention, ce sont les choses(...).Il n'est pas de principe en dehors de l'esprit, il n'est pas de chose en dehors de l'esprit."

La peinture chinoise et le Yi

Le célébre peintre Shitao (1642-1707) a écrit un traité de peinture qui est la référence sur l'art de peindre à la chinoise
Voici un commentaire de pierre Ryckmans (traducteur de shitao) sur une phrase tirée du traité : " les propos sur la peinture du moine Citrouille-Amère"ou ressort l'idée du yi:

" Par le moyen de l'unique trait de Pinceau, l'homme peut restituer en miniature une entité plus grande sans rien perdre : du moment que l'esprit s'en forme une vision claire (yiming), le pinceau ira jusqu'à la racine des choses." Shitao chapitre1

Commentaire (extrait) de Pierre Ryckmans:

Le coeur (c'est à dire l'esprit) est le siège de tout le processus , son activité est la "pensée", préexistant à la rencontre avec la "réalité objective" du monde extérieur. 
De la rencontre entre " la pensée" et la "réalité objective" naît l'idée (yi)
, c'est à dire l'intention de l'oeuvre ; la fixation ou l'établissement de cette intention résulte finalement l'exécution matérielle de l'oeuvre.

En Peinture : le YI est l'intention qui précède l'exécution; comme le dit l'adage classique "l'idée doit précéder le pinceau". Cette intention ou idée préalable peut prendre des acceptations variables : tantôt il s'agit, au sens le plus général, d'une vision intérieure de l'oeuvre à accomplir tantôt d'une inspiration ou d'une véritable sujet, pour la recherche duquel le stimulant auquel les peintres ont le plus souvent recours est la lecture de poèmes.

La poèsie chinoise et le Yi

Extrait du livre de J-F Billleter : Trois essais sur la traduction  Editions Allia

La grande poèsie chinoise a privillégié les formes courtes, mais pour produire des effets "longs". La critique littéraire traditionnelle n'a cessé de considérer que l'excellence d'un poème se reconnaissait à l'ampleur de ses effets. Yi yuan 意 远, disait-on, "son sens va loin", il donne lieu à un déploiement de grande envergure.

 

Le Yi par François Cheng 
De l'Académie française

A sa base, l’idéogramme yi désigne ce qui vient de la profondeur d’un être, l’élan, le désir, l’intention, l’inclination ; l’ensemble de ses sens pouvant être englobé approximativement dans l’idée d’ « intentionnalité »

Combiné avec d’autres caractères, il donne une série de mots composés aux sens variés mais ayant entre eux des liens organiques : on peut grosso modo les ranger sous deux catégories, ceux qui relèvent de l’esprit : idée, conscience, dessein, volonté orientation, signification ; ceux qui appartiennent à l’âme : charme ,saveur, désir, sentiment, aspiration, élan du cœur. 

Aux yeux des Chinois, la beauté d’une chose réside en son yi, cette essence invisible qui la meut. C’est le yi qui est saveur infinie, qui n’en finit pas de susciter parfum et résonance.

Le Taiji Quan et le Yi

Extrait du livre de T.Dufresne et J.Nguyen 
" Taiji Quan art ancien de la famille Chen"

On dit que le Taiji Quan est la gymnastique du Yi, le Yi étant la "pensée" qui commande nos actes et nos mouvements.

Chen Changxing (1771-1853) a écrit dans le taiji quan Yongwu Yao Yan :
" Le coup de poing émerge du Xin (le coeur). Le poing suit le Yi et jaillit (Fa); il faut se connaître soi-même et connaître l'adversaire, s'adapter suivant les circonstances"

Le Yi renferme le Zhi (volonté) ainsi parle-t-on de Yizhi. Mais il est aussi associé au qi (énergie) et l'on parle également de Yiqi  (qui peut être traduit par enthousiasme), l'union du Yi et du Qi.

Le Yi Quan et L'intention

Aprés cette introduction et ces visions du Yi. Prenons un extrait du livre de Maître Yao Zongxun (1917- 1985)  qui est en relation directe avec la pratique du Yi dans le zhan zhuang (posture de méditation debout).
Maître Wang Xiangzhai a appelé son école le Yi quan car il voulait mettre l'importance sur la pensée et l'intention qui créent  les formes et les mouvements et la force entière du corps .

Voici un petit texte d'une richesse formidable de Maître Yao traduit par Christophe Lopez :

Nous allons maintenant parler du recours à l'intention lors de la posture primordiale . Le Yi quan s'intéresse au yi (intention ,pensée créatrice).
wang Xiangzhai disait qu'il fallait "chercher à saisir la force au sein de l'intention" (chuaimo yi zhong li).
Lorsqu'on tient la posture de combat, il faut fournir beaucoup d'efforts pour saisir la force au sein de l'intention. Quelles sont les relations entre l'intention et la force? Wang Xiangzhai disait que  "l'intention est le maître de la force, la force est le général de l'intention" ( yi wei li zhi shi, li wei yi zhi jun). 
Toute manifestation de la force n'est qu'un résultat déterminé par la pensée. 
Wang Xiangzhai disait aussi que" l'intention, c'est la force" (yi ji li ye)., ce qui démontre encore le lien entre l'intention et la force. Lorsqu'on commence à s'entraîner à la posture de combat, il faut utiliser l'intention et non la force (yong yi bu yong li). Après avoir quelque peu progressé, il faut faire en sorte que la force arrive là où est l'intention ( yi dao li dao). Ensuite, on arrive au stade le plus élevé où l'intention et la force ne sont pas séparées( yi li bu fen), l'intention et la force forment un ensemble. Si on cherche à maîtriser le combat et qu'on ne parvient pas à faire en sorte que l'intention et la force ne soient pas séparées, on ne peut pas saisir les subtilités de l'art martial.

A propos de l'entraînement de l'intention pendant la posture primordiale où on embrasse un arbre : au début de l'entraînement à la posture primordiale, il faut se concentrer sur une seule pensée, on prend l'arbre pour le pousser (tui), tirer (la), lever (ti), planter (zai), ouvrir (kai), fermer( he) etc....
Une fois qu'on a les sensations de départ, il faut avoir une réelle sensation que l'arbre ne bouge pas lorsqu'on pousse ou qu'on tire.
L'étape suivante consiste à mélanger l'ordre des pensées. Dès qu'on commence à lever l'arbre, on le pousse vers l'avant, ou alors, dès qu'on commence à le planter, on l'arrache vers l'extérieur, ou encore, dès qu'on le comprime on va vers l'arrière etc..
Parce que lorsqu'on met la force en application il n'y a pas d'ordre déterminé, lors de l'entraînement quotidien, on ne peut s'entraîner conformément à un ordre déterminé.
L'étape la plus haute de l'entraînement consiste à acquérir une sensation de confusion. Lorsqu' on veut ouvrir, on veut fermer. Lorsqu'on veut tirer, on veut pousser. Lorsqu'on veut lever, on veut presser. Le résultat est que, quoi que l'on pense, on ne pense à rien.
En résumé, on a une pensée de totalité, un sentiment inconscient et confus. Au final, on cultive un état extraordinaire où lorsqu'on ne fait rien, il n'y a rien mais lorsqu'on fait quelque chose, tout est là.
Le sentiment de confusion est en réalité un état de haute concentration mentale et non une hébétude.
Conformément à ce que disaient les générations antérieures, le plus haut degré de l'art martial est celui où : "la force n'est plus la force, l'intention n'est plus l'intention, la vérité est l'absence de force et d'intention"( quan wu quan, yi wu yi, wu quan wu yi shi zhenyi), c'est à dire qu'on est entre l'intention et l'absence d'intention. Les personnes qui excellent en natation oublient souvent l'existence de l'eau et parce qu'ils oublient l'existence de l'eau, ils nagent plus aisément. C'est de cette idée qu'il s'agit.

Conclusion

En lisant tous ces textes, nous nous apercevons que le YI est la source pour trouver l'unité du corps et de l'esprit. Les pensées et les intentions créent nos aptitudes physiques et mentales qui  permettront d'élargir nos perceptions et nos sensations sur les choses et les êtres. Cette capacité de l'esprit a permis à de nombreux artistes un dépassement de la simple vision du monde. La création devient infinie et globale. La volonté et l'enthousiasme (venant du coeur) dynamiseront l'intention suivant les objectifs choisis.


Mes sources

Histoire de la pensée chinoise  Anne Cheng Points essais

Les propos sur la peinture du moine Citrouille-Amère  Pierre Ryckmans 
Plon

Cinq méditations sur la beauté  François Cheng  livre de poche

Trois essais sur la traduction  Jean -François Billleter  Editions Allia

Taiji Quan
"art martial ancien de la famille chen" T.Dufresne et J.Nguyen  Edition budostore 

Extrait du livre de Yao zongxun sur le Yi Quan  traduit par Christophe Lopez

Peinture de Shitao (extrait du livre Shitao
Edition You-Feng)

 

 

  
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