Nourrir le principe vital
Extrait d'un texte de Xi Kang




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Xi Kang
(223-263)  
Penseur, poète et buveur impénitent

Xi Kang fut membre imminent des "sept sages de la forêt de bambou"
et connut une fin tragique. Son anticonformisme et son indépendance d'esprit lui
avaient valu de sérieuses inimitiés dans les cercles dirigeants.
Il fut arrêté, mis au cachot, jugé et condamné à mort.

Les écrits de Xi Kang sont les premiers à mettre en avant la notion de 
Yang Sheng (nourrir le principe vital). 
Ce principe est la base philosophique du Qi Gong moderne.

Déjà au troisième siècle de notre ère, la façon d'accroître la longévité et les consignes pour y parvenir ont amené une vive polémique entre penseurs chinois.
Le sinologue Jean Levi a publié un petit livre sur ce sujet :


Eloge de l'anarchie par deux excentriques chinois
Editions de l'encyclopédie des nuisances Paris 2004

il  traduit le texte essentiel de 
Xi Kang
Essai sur l'art de nourrir le principe vital 

Aujourd'hui en France, la polémique est également très vive entre écrivains sinologues (François Jullien, Jean Levi, jean François Billeter) concernant l'interprétation des textes chinois.

Voilà pourquoi, je vais mettre sur cette page deux traductions de la conclusion de l'essai de Xi Kang, afin de mieux comprendre le texte original 
et le choix des sinologues.

La première traduction est tirée du livre de Jean Levi
La deuxième traduction est tirée du livre de François Jullien :
Nourrir sa vie à l'écart du bonheur Edition du seuil 2005








Extrait de
Essai sur l'art de nourrir le principe vital
de XI KANG

Traduction Jean Levi

Ceux qui excellent à nourrir leur principe vital agissent tout autrement.
Purs, vides, calmes et paisibles, ils s'emploient à se dépouiller de tout égoïsme, à se débarrasser de toute convoitise.

Ce n'est pas qu'ils se forcent à réprimer leurs désirs, mais, conscients que
les honneurs déshonorent et les places avilissent, ils les dédaignent et refusent de servir ;

Ce n'est pas qu'ils brident leurs appétits, mais sachant que la bonne chère détruit la substance vitale, ils la méprisent et n'y prêtent aucune attention.

Ils ne laissent pas les objets extérieurs entraver leurs pensées, en sorte que
leurs esprits et leurs souffles demeurent immaculés et candides.

Détendus, ils sont libres de tout souci ; calmes ils ne nourrissent aucun calcul.
Ils savent garder l'Un et se nourrir d'harmonie.

C'est ainsi que l'ordre et l'harmonie se renforçant chaque jour en eux, ils font bientôt corps avec le grand mouvement cosmique.

Ils se sustentent des vapeurs de l'agaric mystique, ils s'abreuvent à la source liquoreuse, ils s'embrasent dans les rayons du soleil levant, ils se délectent des accords du luth.

Trouvant leur satisfaction dans le non-agir, leur corps se fait subtil et leur esprit éthéré. Oublieux de toute joie, ils atteignent à la béatitude ; 
dédaigneux de la vie , ils préservent leur personne.

Qui persévère dans cette voie peut espérer vivre aussi vieux que Hsien-men et rivaliser en longévité avec Wang Ts'iao.
Comment se pourrait-il que de tels êtres n'existent pas ?


Traduction de François Jullien

Pour celui qui est apte à nourrir la vie,
il n'en va pas ainsi.
Limpide et vide, tranquille et calme,
il réduit l'intérêt qu'on porte à soi-même et diminue ses désirs.
Sachant que nom et position font tort à sa capacité,
il les néglige et ne s'en occupe pas
- ce n'est pas que, les désirant, il se force à s'en détourner
et de même, conscient de ce que les riches saveurs nuisent à sa nature
il les délaisse et n'en a cure
- ce n'est pas que, les convoitant, il veuille ensuite se contenir.
Les choses extérieures, dans la mesure où elles entravent son esprit,
n'existe pas pour lui ;
seul, le souffle affiné en esprit, dans la mesure où il n'est pas souillé,
se manifeste en lui.
Vacant, il est sans souci et sans affliction ;
placide, il est sans préoccupation ni crainte.
Il garde (sa vitalité) par l'unité intérieur,
la nourrit par l'harmonie ; 
l'harmonie et la cohérence du vital de jour en jour vont
se complétant :
il s'unit à la Grande conformité naturelle.
C'est alors qu'il s'imprègne des champignons à l'efficacité merveilleuse,
s'humecte aux sources d'eau pure,
se sèche au soleil du matin,
s'apaise aux sons de la cithare :
sans avoir à agir il entre en possession de lui-même,
l'être physique en lui se subtilise, l'esprit aussi s'approfondit ;
oublieux du contentement, il connait la joie à satiété ;
délaissant la vie, il est en mesure de sauvegarder sa personne.
Aussi sera-t-on près de le comparer en âge à Xianmen,
avec Wang Qiao il rivalisera en années.
- Pourquoi tout cela n'existerait-il donc pas ?

Eloge de l'anarchie par deux excentriques chinois (page 70)
Polémiques du troisième siécle traduites et présentées par Jean Levi
Editions de l'encyclopédie des nuisances Paris 2004

Nourrir sa vie (page 153/ 154)
A l'écart du bonheur par François Jullien
Edition du seuil

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